L’année 1918 dans les
Ardennes
Dans leur journal, M. et Mme Karleskind, gérants à
Charleville du Buffet de la Gare et de l’hôtel
Terminus, écrivent à la date du 1er
janvier 1918 : « Que peut réserver cette année
nouvelle qui commence si tristement ? Sera-t-elle
enfin la dernière de notre captivité ? Envers et
contre tout nous voulons espérer, espérer quand
même ! »
Cette exposition de 20 photos –seulement, car c’est
un véritable crève-cœur de choisir parmi la très
importante iconographie à notre disposition – répond
d’abord à ces questions puis illustre comment les
espoirs de M. et Mme Karleskind se sont enfin
réalisés.
Effectivement, l’année commence bien mal avec quatre
offensives allemandes qui débutent le 21 mars, sur
le front ouest. Ces quatre attaques, dans lesquelles
sont engagés des soldats entraînés en France et des
hommes revenus de Russie, permettent aux Allemands
d’atteindre la Marne. Au cours de ces combats, ils
font de nombreux prisonniers. Les pertes des
différents belligérants sont immenses.
Mais devant la gravité de la situation, le général
Foch devient commandant des forces de la
Triple-Entente. Sous ses ordres, la seconde bataille
de la Marne, du 15 au 17 juillet 1918, est
remportée. Le 18, il lance la contre-offensive
généralisée.
Les Ardennes sont libérées par des unités
américaines, françaises, italiennes et tchèques au
prix de combats acharnés. Les villes et communes de
l’Argonne et de la Champagne ardennaise sont
sévèrement touchées. L’agriculture ardennaise, comme
l’écrit Jean-Luc Guillaume, « a particulièrement
souffert de l’occupation ». Citons seulement trois
exemples qu’il met en avant : de nombreux bâtiments
agricoles sont détruits, il ne reste plus qu’un
maigre cheptel de 500 vaches et il faut débarrasser
470 000 ha des obus qui les ont frappés…
Si, partout, les vainqueurs sont accueillis les bras
ouverts, comme à Rocroi, il nous plaît de rapporter
en contrepoint ces propos de Pierre Hamaide, un
Haybois, reproduits par Guy Lépine : « Le 11
novembre, nous apprenions la signature de
l’armistice et attendions nos libérateurs. Ce fut
une légère déception, car au lieu des Poilus
français dont nous espérions l’arrivée, ce fut une
troupe de soldats italiens à la mine peu patibulaire
qui débarquèrent par la route de Rocroi. » La
prévention à l’encontre des immigrés italiens
d’avant 1914 n’avait pas disparu avec leur
engagement en mai 1915 aux côtés de la
Triple-Entente !
Nous souhaitons aussi revenir sur l’évocation de
l’ultime fait d’armes du 415e régiment
d’infanterie contre la Garde prussienne, les 9, 10
et 11 novembre à Vrigne-Meuse, au cours duquel
décéda le 11 novembre à 10 h 50 Augustin Trébuchon,
dernier soldat français de la Grande Guerre mort au
combat sur le front occidental. L’armée le déclara
mort le 10 novembre… et se tut longtemps sur cet
épisode tragique. Cent ans après, Alain Fauveau,
petit-fils de Charles de Menditte, qui commandait à
Vrigne-Meuse, déchire ce silence volontaire en
s’interrogeant dans un livre récent sur « l’ordre
surprenant (donné) de “franchir la Meuse,
coûte que coûte, n’importe où et sur n’importe
quoi”, et bien sûr sans délai ».
Au cours de leur retraite dans les Ardennes, dans
les derniers jours de la guerre, outre les
bombardements qui causent de nombreux dégâts, les
Allemands se livrent, comme dans d’autres régions de
France qu’ils avaient occupées, à des destructions
volontaires et très conséquentes des moyens de
transport – chemin de fer, routes, ponts, canaux –
et d’une grande partie de l’appareil industriel. Les
rivalités de l’après-guerre étaient déjà envisagée
par les vaincus.
Chez les vainqueurs, le temps est d’abord aux
remises de décorations à ceux qui ont permis une
libération tant attendue. La veille, le jour même de
l’armistice, un Ardennais et deux cheminots
allemands « trinquent » ensemble à Givet,
immortalisant dans un document unique leur espoir
que la paix, revenue après 52 mois d’occupation pour
les habitants des Ardennes, serait enfin définitive.
Jacques Lambert et François Thirriot.
Exposition réalisée avec le soutien des Archives
départementales des Ardennes, d’Ardenne Métropole et
du Musée Guerre et Paix en Ardennes