La revue N° 142

 

 

 

N° 142 - Mars 2018

Éditorial

Les Ardennes et les guerres !

   André Hubert Dameras, manouvrier d'Hannogne-Saint-Rémi, a laissé une chronique passionnante1 couvrant la période 1770-1820. Il la commence, précise-t-il, à l'âge de « onze ans et dix mois » ! Ce très lointain précurseur d' Ernest Singevin et d'Yves Congar - tous les deux tiennent un journal pendant la Grande Guerre, le premier dès l'âge de 13 ans et le second de 10 - a écrit, alors qu'il était adulte, sur les conséquences pour les Ardennes des guerres qui frappèrent la France de 1792 à 1818.

   De toutes les nombreuses notations qu'il consacre aux malheurs des conflits presque incessants, je n'en citerai que quatre : « On prétend qu'il y aura trop bien les soldats qui ne reviendront point de Russie ; on dit qu'ils sont à la ville de Moscou par une grande quantité le neige » (début 1813), « (...) jusqu'à présent on dit que la guerre ne vas pas bien, ce qui donne du chagrin dans les familles » (10 avril 1813), « Le jour du mardi gras, les ennemis sont arrivés à Sévigny à 600 hommes et chevaux ; à St Quentin 400 hommes ; ils y avont resté deux jours ; on n'a point fait de mardi gras » (16 février 1814) et « Les ennemis sont encore rentrés à Rethel, une réquisition est arrivée, cent cartels d'avoine, cent bottes le foin, cent bottes de pailles » (21 mars 1814).

   Combien d'Ardennaises et d'Ardennais, civils st militaires, ont exprimé ou auraient pu exprimer an semblable et poignant désarroi devant leur vie bouleversée par les guerres de 1870-1871, 1914-1918 et 1939-1945 ? Une vie qui est dorénavant évoquée de belle manière par le Musée Guerre et Paix de Novion-Porcien, seul musée en France à traiter de ces trois grands conflits.

   Dans l'article que je consacre à la renaissance* de ce musée, dont je me réjouis, je ne juge ni de la pertinence de son implantation en ce lieu, ni des aléas successifs qu'il a connus, ni des coûts et surcoûts qu'il a engendrés : j'affirme simplement que j'y trouve de très nombreux points communs avec le travail d'histoire que nous effectuons à Terres Ardennaises et qu'il est essentiel pour connaître le passé douloureux de notre département.

   Mais ce qu'on attend d'un musée spécifique, nos lecteurs n'entendent pas forcément le trouver dans une revue qui se veut, elle, généraliste. En finalisant ce numéro, nous nous sommes aperçus qu'à côté de six contributions très diverses : biographies, souvenirs d'enfance, évocations industrielles, sans oublier le début d'une collaboration qui, nous le savons, sera fructueuse avec les Archives départementales des Ardennes, il contenait trois autres articles évoquant la Grande Guerre et la Seconde Guerre.

   Nous avons alors décidé lors de notre dernière réunion de veiller à ce qu'il y ait moins de guerre et plus de paix dans les prochains numéros de notre revue !

   Dans cette logique, il n'est pas paradoxal que ce numéro lance la souscription du livre : « Mourir le 11 novembre 1918, c'est mourir deux fois » d'Alain Fauveau, général et petit-fils de Charles de Berterèche de Menditte, commandant du 415e RI, qui s'est battu à Vrigne-Meuse le 11 novembre 1918. Car cet ouvrage raconte l'armistice du 11 novembre - jour où Augustin Trébuchon, à Vrigne-Meuse, mourut 10 minutes avant la fin du conflit ! - au cours duquel les Ardennes passèrent de la guerre à la paix, pour 21 ans seulement...

Jacques Lambert

1 La vie quotidienne dans les Ardennes aux XVIIe et XVIIe siècles, 1985, Les Cahiers d'Études Ardennaises, n°14.